J’ai choisi le thème Ten Jin Chi (ciel – homme – terre) comme une progression partant de la terre (base et technique) pour évoluer vers l’homme (émotion, sensibilité) pour aboutir au ciel (spiritualité).
Les idéogrammes ont cette merveilleuse richesse de représenter des idées dont l’interprétation évolue avec le vécu de celui qui les sollicite.
En Budô, cette progression est très évidente. Le débutant doit préparer son corps physiquement d’abord afin de pouvoir exécuter les techniques requises par son art, c’est le stade Chi. Une fois les barrières physiques et techniques surmontées, le pratiquant peux laisser libre cours à son imagination et à sa créativité et goûter à une certaine liberté.
Les techniques deviennent plus fluides et intenses, le contrôle des émotions devient alors primordial. C’est le stade Jin. si les deux stades précédents se déroulent généralement comme je vous les ai décris, l’ultime stade n’est pas garanti. On a vu, dans le Budô classique et moderne, des champions du monde ou des pratiquants hors du commun parcourir les deux premiers stades avec brio, et échouer lamentablement dans le troisième, sans avoir apparemment tiré un minimum d’enseignement de l’art qu’ils ou elles ont pratiqué.
Et pourtant, les deux premiers stades contiennent tous les ingrédients nécessaires pour amener le pratiquant un stade spirituel plus élevé. Que se passe-t-il entre le deuxième et le troisième stade ? Je n’ai pas de réponse encore, je cherche toujours. Mais on peut penser que les deux premiers stades sont proches de l’univers connu de l’homme alors que le troisième stade ne se décline pas selon les critères concrets des stades Chi et Jin. […]
J’ai symbolisé l’aspect Chi par le style Kaisho (l’écriture script) car on y retrouve le même rythme, ce dernier devenant plus fluide dans le stade Jin que j’ai illustré avec le style Gyôsho. C’est bien sûr par le style Sôsho (herbe) que j’ai symbolisé le stade Ten dont les mouvements minimalistes s’apparentent si bien avec le style éthéré de cette écriture « divine ». […]
Chi – Terre
Comme dans tout, c’est par les bases qu’il faut commencer. En calligraphie, le style Kaisho (écriture par degré) nous renvoie à nos premières lignes d’écriture scolaire dans laquelle chaque lettre est tracée séparément avec soin. EnShodô, il s’agit du style dans lequel chaque trait est tracé séparément. La recherche dans le dictionnaire, par nombre de traits, est basée sur ce style. Le Kaisho permet d’aborder chaque idéogramme avec précision. Le trait est décidé, fort, anguleux, extrêmement précis et travaillé. Les critères de proportion et d’équilibre sont déjà indispensables. […]
Jin – Humain
Dans le Budô comme dans la calligraphie une fois les bases techniques acquises « l’émotion » peut intervenir. Ce n’est pas que cette dernière était absente auparavant, mais les hésitations techniques lui laissaient peu de place. Il y a cependant une différence entre le Budô et le Shodô. Dans le premier cas, l’aspect mécanique du premier stade doit évoluer vers la fluidité ; alors que dans le deuxième cas, le style Kaisho est un style à part entière, avec sa propre perfection à atteindre. Toutefois, le Gyôsho émane du Kaisho, passage obligé pour bien comprendre la construction du caractère. J’ai donc fait suivre aux styles de calligraphie la même promesse de progression qu’en Budô car le rythme du Gyôsho, ses pleins et ses déliés, ses différences de pression font, d’une façon évidente, plus appel au sentiment artistique, donc émotionnel, du calligraphe. […]
Ten – Ciel
Si l’on veut continuer le parallèle avec notre écriture, le Sôsho (style herbe) s’apparenterait à nos signatures : cette écriture qui sort du ventre. Observer quelqu’un qui signe, il change sa position est écrit avec tout le corps. Dans la calligraphie, le style frappe par son épuration extrême, sa simplicité, sa concision. La lisibilité n’est plus une priorité (comme dans nos signatures) c’est l’expression de soi dans la recherche abstraite du trait qui contient tous les autres. Tracé aérien, tout en touches légères, le Sôsho est l’écriture des dieux, l’aboutissement de la technique et de l’émotion dans une calligraphie simple et abstraite. […]
A l’âge de 60 ans, si je pense comprendre l’essentiel de Chi et Jin, beaucoup de choses m’échappent encore en ce qui concerne l’aspect spirituel de la Voie. Il me reste d’importants examens de vie à faire, le face-à-face avec la mort n’en étant pas le moindre. […]
Les parallèles que j’ai voulu tirer entre le Budô et la calligraphie sont, ici encore, criants de vérité. Le style herbe (Sôsho) me pose encore autant de problèmes que les principes de ce dernier chapitre. Sans un modèle devant moi, je me sens perdu. Ce n’est pas de la fausse modestie, la preuve en est que j’ai préféré demander à mon maître de calligraphie (Saito Sensei), des modèles pour ce troisième chapitre. Je les ai longuement travaillés pour leur donner une touche personnelle sans trop dévier des magnifiques lignes que j’avais sous les yeux.
J’ai donc tenu à ce que ce troisième chapitre, aussi amateur qu’il puisse paraître, vous dévoile ses merveilleux principes et que vous essayiez, avec moi, avant moi peut-être, de les faire vôtres.
Pascal Krieger
Ten Jin Chi
Genève, avril 2005